Réfugiés et marché du travail luxembourgeois

forum du jeudi 6 juillet 2023 / Amir Vesali
Emploi / Travail, Politique d’asile / Migrations / Intégration

Un défi pour une inclusion sociale réussie

Le marché du travail luxembourgeois ne compte que 4,8 % de ressortissants de pays tiers dans sa population active. Il s’agit d’un taux nettement inférieur par rapport au reste de la population, sachant que les résidents ressortissant de pays tiers forment presque 20 % de la population au Luxembourg’.

Cette situation est le résultat de procédures administratives interminables et d’un manque d’intérêt politique pour cette population précarisée sans véritable représentation politique. L’absence d’une politique d’intégration ciblée sur le marché du travail pour les demandeurs de protection internationale (DPI) et les bénéficiaires de protection internationale (BPI) aggrave cette situation.

Ainsi que le Collectif réfugiés Luxembourg l’a souligné dans un communiqué, datant déjà de 2017, « le travail est un facteur essentiel d’intégration pour les demandeurs de protection internationale ».

C’est ainsi que le gouvernement, par le biais du Plan d’action national intégration de 2018, s’est donné l’objectif de favoriser l’accès aux formations et à l’employabilité des citoyens non luxembourgeois.

Il est regrettable de constater qu’il n’existe à l’heure actuelle que peu de mesures concrètes pour réaliser cet objectif.

Pourtant, nous savons tous que l’exclusion de la vie professionnelle peut entraîner une exclusion plus large de la société. Il est paradoxal d’empêcher ceux qui aspirent à travailler de le faire, d’autant plus que certains DPI sont immédiatement aptes à être insérés sur le marché de l’emploi, surtout dans certains secteurs où la main-d’oeuvre fait cruellement défaut.

Or, le Luxembourg est en retard pour ce qui est de la mise en place d’une politique d’intégration ciblée sur le marché du travail pour les DPI et les BPI. Jusqu’à présent, rien n’a été entrepris pour faciliter l’accès de ces personnes au marché du travail. Cette situation laisse les DPI dans une situation précaire, sans perspectives et sans moyens de subvenir à leurs propres besoins. Les BPI, quant à eux, doivent faire face à de nombreux obstacles pour intégrer le marché du travail luxembourgeois, malgré leur statut de réfugié.

Cette situation soulève des questions sur l’engagement du Luxembourg en matière d’intégration des réfugiés dans la société et sur les mesures concrètes prises par le gouvernement pour répondre à cette question cruciale.

Quelle est la situation actuelle ?

Au Luxembourg, la situation des ressortissants de pays tiers sur le marché du travail n’est pas satisfaisante.

Malheureusement, le gouvernement n’envisage pas d’abolir le délai d’attente de six mois, ni de permettre aux demandeurs de bénéficier des services offerts par I’ADEM, telles les différentes formations adaptées à leurs besoins. En somme, aucune amélioration substantielle concernant la procédure de l’AOT ne semble se dessiner.

Les statistiques concernant le nombre de demandes effectuées pour l’obtention d’une AOT révèlent les hésitations face à cette lourdeur administrative.

Sur une période de près de dix ans, seulement 309 demandes ont été reçues, ce qui représente un peu plus de 30 dossiers par an. De plus, près d’un tiers des demandes ont été rejetées. En analysant cette situation de plus près, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une success story en matière de politique d’intégration sur le marché du travail.

Il est impératif d’admettre que cette situation est tout sauf désirable et de prendre des mesures pour refonder ce système inefficace, ceci dans l’intérêt de l’économie et de la cohésion sociale du pays.

Comment simplifier la procédure d’une AOT ?

La question de la procédure d’une AOT revêt une importance cruciale pour répondre à la pénurie de main-d’oeuvre d’un côté et faciliter l’inclusion sociale de l’autre.

Tout d’abord, le principe fondamental de toute réforme envisagée devrait être l’autonomisation et la responsabilisation du DPI, c’est-à-dire faire en sorte que le droit de séjour équivaille au droit de travailler.

S’il n’était plus nécessaire de trouver en premier lieu un employeur pour l’obtention d’une AOT, la situation des DPI serait ainsi considérablement améliorée. Ceci faciliterait leur intégration sur le marché du travail.

Pour simplifier davantage les procédures administratives, il faudrait qu’une seule autorité étatique décide et délivre ces autorisations, en supprimant ainsi les formalités administratives actuellement en vigueur.

En principe, rien n’empêche de déléguer cette tâche au lieu de résidence du DPI.

Pour pallier rapidement la pénurie de main-d’oeuvre dans des secteurs comme I’horeca, la construction ou l’artisanat, le délai pour déposer une demande d’AOT, actuellement fixé arbitrairement à six mois, devrait être réduit à trois mois. Cette réduction serait en accord avec la durée maximale du séjour de courte durée pour les ressortissants de pays tiers, évitant ainsi que des touristes ou d’autres personnes en transit ne deviennent éligibles à l’AOT. Dans ce sens, il est essentiel d’introduire un « délai maximal de délivrance ou de refus » de l’AOT afin de garantir une certaine planification pour les demandeurs. Cette mesure permettrait ainsi d’éviter les retards excessifs dans le traitement des demandes d’AOT.

Afin de protéger les DPI d’éventuels abus de la part des employeurs et de réduire le risque de dépendance, les détenteurs d’une AOT devraient désormais avoir la possibilité de changer d’employeur, ce qui n’est pas possible pour l’instant. La situation actuelle ne protège pas suffisamment les DPI, qui ne peuvent trouver un nouvel emploi en cas de licenciement prématuré ou de résiliation du contrat d’un commun accord.

Un autre obstacle porte sur la durée de validité de l’AOT. En effet, une fois que l’intéressé obtient finalement l’autorisation de travailler temporairement, celle-ci n’est valable que pour six mois. Ceci est une des raisons qui expliquent l’hésitation des employeurs, parce que cette courte durée ne permet pas une planification solide. Ce délai devrait être prolongé à douze mois pour tenir compte des réalités auxquelles sont confrontés les DPI, qui attendent souvent en moyenne plus d’un an pour que leur demande de protection internationale soit traitée, voire davantage en cas de recours devant les tribunaux. Cela contribuerait par conséquent à réduire l’incertitude des DPI concernés.

Un autre point, moins discuté jusqu’ici, concerne les exigences relatives à l’homologation d’un permis de conduire étranger. Il est évident que la mobilité de l’employé augmente les opportunités de recrutement. La situation actuelle est confuse, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des permis de conduire de ressortissants de pays tiers. Il convient d’établir des règles claires et d’abaisser le délai d’attente de transcription à trois mois, alors qu’il est actuellement fixé à six mois à compter de l’établissement de la « résidence normale », ou bien alors de prévoir des dérogations au délai de transcription pour les DPI possédant une AOT. En effet, le délai d’établissement de la résidence normale ne commence à courir à l’heure actuelle qu’après l’obtention d’une réponse favorable à la demande de protection internationale ou de protection subsidiaire. Cela signifie que la période pendant laquelle le demandeur a vécu au Luxembourg n’est pas prise en compte.

Enfin, si une personne est déjà intégrée sur le marché de l’emploi luxembourgeois, travaille légalement et subvient à ses besoins, tout en contribuant au fonctionnement de la société, elle devrait alors pouvoir continuer à bénéficier d’un droit de séjour aussi longtemps qu’elle travaille, même après un refus de sa demande de protection internationale.

Due faire au sujet de l’intégration sur le marché du travail des ressortissants de pays tiers ayant un permis de résidence ?

Pour assurer une intégration harmonieuse des ressortissants de pays tiers ayant un permis de résidence sur le marché du travail, il est impératif de mettre en place une approche qui facilite leur participation active et productive dans la société. Dans cette optique, voici les mesures clés que nous devrions prendre : 1. Le principe fondamental consiste à considérer le titre de séjour comme une autorisation de travail. En adoptant cette approche, nous reconnaissons la valeur et les compétences des ressortissants de pays tiers, en leur offrant la possibilité d’accéder au marché du travail de manière plus directe et sans entraves excessives.

2. Mettre en place un programme d’apprentissage des langues spécifiquement axé sur les besoins du marché de l’emploi. Nous devons veiller à ce que les ressortissants de pays tiers aient les compétences linguistiques nécessaires pour communiquer efficacement dans le milieu professionnel. Cela favorisera leur intégration et leur capacité à occuper des emplois correspondant à leurs qualifications.

3. Renforcer la formation professionnelle en mettant l’accent sur les programmes de requalification adaptés aux besoins du marché de l’emploi.

Nous devons offrir des opportunités de formation et de perfectionnement aux ressortissants de pays tiers afin qu’ils puissent acquérir les compétences demandées sur le marché du travail et répondre aux évolutions économiques.

4. Simplifier les conditions d’accès àla formation adulte. Actuellement, les exigences en termes d’affiliation obligatoire d’au moins douze mois au Centre commun de la sécurité sociale pour un travail hebdomadaire de seize heures au moins excluent d’office une partie non négligeable des candidats potentiels. Il est nécessaire de revoir ces critères afin de permettre aux ressortissants de pays tiers d’accéder plus facilement à la formation continue, les aidant ainsi à améliorer leurs compétences et à saisir les opportunités professionnelles.

5. Mettre en place un système ou des épreuves d’évaluation des compétences pour valider l’apprentissage et l’expérience antérieurs, en particulier pour les qualifications qui ne peuvent être documentées en raison de procédures complexes de reconnaissance des qualifications étrangères. Ce système ou examen permettra de reconnaître les compétences acquises par les ressortissants de pays tiers et de les intégrer de manière plus transparente sur le marché du travail.

Le fait que les ressortissants de pays tiers représentent moins de 5 % de la main-d’oeuvre ne doit pas être considéré comme une fatalité empêchant la mise en oeuvre d’une politique ou d’une stratégie spécifique à leur intégration. En adoptant ces mesures, il faudra veiller à ce que les ressortissants de pays tiers puissent accéder au marché du travail de manière équitable et bénéficier des opportunités de développement professionnel. Une telle approche favoriserait une intégration réussie, renforcerait la diversité et les compétences au sein de notre société, tout en contribuant à une économie dynamique et inclusive. 1 https://tinyurl.com/297mb63s (dernière consultation : 22 mai 2023).

2 https://tinyurl.com/ycs66tr3 (dernière consultation : 22 mai 2023).

Amir Vesali est attaché parlementaire et membre du comité directeur du LSAP.

Une fois que l’intéressé obtient finalement l’autorisation de travailler temporairement, celle-ci n’est valable que pour six mois.